Feu Inoubliable

1984. Année où je passerai de l'école primaire à l'école secondaire. Dans un nouveau monde. 

U2 n'a jamais été à l'école des arts. Ce que Brian Eno a fait. Mais ils sont allé vers Brian. Et ce sera tout comme. La rumeur voulait qu'on l'avait approché afin qu'il produise la formation Television. C'était tout ce que U2 avait besoin de savoir. Non seulement il était ancien des mythiques Roxy Music, avait produit Bowie et les Talking Heads, mais ils étaient aussi fan de Television. La compagnie de disques étaient aux aboies. 

"Mais à quoi pensez vous ? vous avez ce qu'il faut pour être les prochains The Who ou The Clash et vous allez chercher qui ne semble plus intéressé par le rock ? qui fait des disques de bruis d'oiseaux et de vent de nuit ?" qu'on leur dit. Mais les 4 gars de Dublin leur répondent que c'était qui ils étaient. Et là où ils voulaient aller. 

La compagnie leur fait confiance. Après tout, et Talking Heads et Bowie et Roxy Music avaient été des succès. Daniel Lanois développerait la musicalité de chacun, ce qu'ils, de leur propre aveu, n'auraient jamais été en mesure de découvrir par eux-mêmes. Brian y serait pour l'expérimentation, et l'iconoclaste. 

Sorciers de l'évasion concoctant potion.

Au château Shane de Lord Henry Mountcharles, une connaissance d'Adam Clayton, tout est grandiose et l'acoustique y est formidable. Dans la bibliothèque surtout. C'est en y chantant Pride (In the Name of Love) que Bono se découvre pour la première fois des possibilités de rapprochement vocaux avec la voix de son père, chanteur d'opéra. Il se sent soudainement aussi ténor que lui. Et sera magistral vocalement sur cet album. Brian surprend en arrivant en studio en chemise avec une cravate noire en cuir. On le pense plus architecte que producteur, mais on ne se trompe pas non plus. Architecte du son. C'est Daniel qui semble plus punk avec sa veste de cuir et son t-shirt et jean. Eno mettra le paquet sur cet album, dormant même parfois au château, afin d'y être le lendemain plus tôt et poursuivre sur ses explorations de textures sonores. Il dort au sol, sur le plancher, sous la console de mixage. Il se concentre sur 4 artistes en Bono, The Edge. Adam & Larry. Passe beaucoup de temps avec chacun. Tout le monde se sent spécial. Larry ne sait pas trop quoi penser d'Eno, mais "Danny" Lanois est une fameuse découverte pour lui. Pour Adam aussi. Lanois arrive au château avec toute sortes de types de percussions. Des tambourins, des timbales, deux sortes de caisses claires et un piccolo snare drum. La conversation tourne vite à la manière d'utiliser la rythmique de manière plus organique et ne pas utiliser la machine à batterie. Larry Mullen Jr est cette machine de toute manière. Larry & Lanois sont vite très amis sur le même concept du rythme exploratoire et créatif.

La musique est de l'oxygène pour Lanois. Quand elle va bien, il respire autrement. Quand il prend un instrument et en joue (et il semble jouer de tout comme Brian est en mesure de créer tous les sons sur ses claviers), il peut tomber en état de grâce et sembler si léger. Mais quand la musique ne va pas à son goût, il grommelle, baboune, est plus sombre et ne s'en sortira que lorsqu'ils atteindront la couleur du son envisagé. Comme le roi David dans la bible, font remarquer les 3 pieux, il y a un démon en lui qui n'est dompté que par la musique. U2 leur parle des trois couleurs musicales qu'ils perçoivent. Guitare, basse, batterie. Mais Brian & Dan leur font découvrir une palette entière. Bowie est passé de travailler avec Ronson et les Araignées de la planète Mars à travaille avec le soul et le funk de Carlos Alomar en quelques années seulement. En trois ans, il avait été punk rock devenu soul plastique (plastique parce que blanc). Brian Eno et Tony Visconti ont fait des miracles avec lui à Berlin et en France. George Martin est presque devenu Beatles lui-même quand ils sont devenus entièrement studios, en 1966-1967. Enclins à l'orchestral. Kraftwerk, Can, Giorgio Moroder, étaient époustouflants rats de studio pour leurs oreilles. 

C'est quand Eno leur raconte que pour Low, Bowie avait fait écouter un morceau de Moroder/Donna Summer pour inspirer ce qu'il voulait quelque part, que l'on trouve la direction de ce que serait la chanson Bad, qu'ils composent à 4. On canalise les énergies de Lou Reed et Van Morrison pour ce morceau déchirant où Bono y parle des mauvais choix des accros aux drogues, à Dublin. Inspiré d'un riff de guitare tricoté par The Edge, Bad reste l'une des chansons préférées du band. Mullen passe du fouet aux bâtons pendant la chanson, tentez de trouver où. Chaque instrument, incluant la voix en crescendo de Bono qui donne des frissons, brille sur ce morceau. Quand mes enfants chantaient Katy Perry plus jeune, je ne pouvais m'empêcher de penser à l'unique "I'm wide awake" marquant de ma vie. J'ai 12 ans. Nos premiers partys avec des filles qu'on commence à trouver intéressantes aussi, (elles depuis plus longtemps que nous, nous trouvent intéressants) ont comme point d'orgue les premiers coups de batterie de Sunday Bloody Sunday. Et bientôt, les premiers accords de Pride (in The Name of Love) marqueront notre rentrée scolaire à l'école secondaire. Comment on dansait ça? j'aurais aimé avoir été filmé pour m'en rappeler. Mais on lançait un grand cri collectif quand ce dernier morceau sortait dans nos partys. Et le plancher de danse se remplissait de petits culs en pleine croissance, dans je ne sais quel type de danse. Une erreur factuelle se glissait dans les paroles en cette ère sans internet alors que Bono suggérait le matin de l'assassinat de Martin Luther King Jr., alors qu'il est abbatu sur son balcon en fin de journée. En spectacle, Bono changer souvent par "Every evening...april 4..." (mais comment on dansait ce bout-là ?)      

Lanois met beaucoup l'accent sur la rythmique. Clayton et Mullen l'adorent. Adam et Bono travaillent ensemble un riff de base et une improvisation vocale. Où Bono se donne encore beaucoup en poussant la note. Lisant la poésie de Paul Celan, Bono compose les paroles d'un morceau qu'on travaille tellement qu'on enregistre jusqu'à 8 du matin le lendemain, après avoir travaillé toute la journée dessus la veille. Les doutes religieux y sont évoqués. L'intensité et les arrangements de ce morceau en font un de mes préférés à vie du band. Il ouvrira l'album alors que c'est le dernier sur lequel on travaille, un taxi attendant Lanois dehors du château, pour l'amener à l'aéroport. 

Bono sentira que A Sort of Homecoming lui paraitra toujours non terminée. Mais Eno est grand fan d'amorces. De morceaux prétendus "non terminés". Il pousse pour un 2 minutes et demi du genre, plus ambient que mélodique. Délicieusement arrangé aux guitares. Il insiste aussi pour inclure ce qu'il entend de Clayton qui improvise à la base et The Edge qui joue de la bottleneck. Un feeling, inspiré de l'Amérique du Nord. Il y en aura au moins deux comme ça, des évocations nord américaines. Alors qu'on cherche un arrangement pour une des créations, on se rend compte que quand Bono la chante tout seul, a cappela, c'est mieux que tout. Eno y brodera du sien, mais Bono est seul sur MLK. Luther King. À nouveau. On travaille l'écho et la distorsion. L'énergie de Sam Cooke ou Elvis. The Edge enregistre même sa guitare dehors, sous la pluie. 

En juillet 1984, Bono se fait taper sur l'épaule et on lui demande un autographe. C'est nulle autre que Bon Dylan qui s'amuse à ses dépens. Il voit bien que Bono est impressionné et lui renvoie la pareille. Avec Van Morrison autour, on discute avec passion de chants irlandais traditionnels et Dylan s'emporte en leur parlant de ce qu'il adore et de ce qu'il les invite à chanter avec lui. Bono est si intimidé, il ne leur dit pas qu'il ne connait pas les paroles de ces chants traditionnels. Et ça ne trompe pas Morrison, Irlandais lui aussi qui le lui reproche. Dylan rigole et console Bono, penaud, Dylan lui-même change continuellement les mélodies et les paroles de ses propres chansons. 

Visitant une exposition de photos sur les ravages des bombes de Nagasaki et Hiroshima, Bono vole trois mots qu'il y a lu pour en faire le titre d'un morceau qui réintroduit le piano et même une partie orchestrale. The Edge avait commencé le morceau au piano avec le claviériste de Blondie James Destri. Un arrangement des cordes de The Edge avait été pensée avec le pianiste jazz irlandais Noel Kelehan. La guitare y est plus ambiante. Atmosphérique. Acoustico-électrique. Le morceau est pour mes oreilles, magistral. Et devait sonner ainsi aux oreilles de U2, Eno et Lanois. Car c'est le nom qu'il donneront à l'album.

Le 4e album de U2 est enregistré entre mai et août 1984. On enregistre la première partie au Château de Shane et la seconde, au Windmill Lane Studio de Dublin. Un 2e château est utilisé pour illustrer la pochette, le Moydrum Castle, aussi en Irlande. Eno encourage The Edge à utiliser le studio comme instrument. Faisant passer sa guitare par des harmoniseurs. Des effets d'échos. La base d'Adam et volontairement lourde. Si Eno est plus intéressé par ce qui est atmosphérique, Lanois compense en travaillant davantage les deux singles. Qui feront très bien quand l'album est sur le marché, en octobre, bien entendu. 

Pride (in the Name of Love), sur laquelle la voix de Chrissie Hynde est cachée dans les choeurs faisant les Oh-oh-oh à la fin,  sera #1 en Nouvelle-Zélande, #2 en Irlande et aux États-Unis, #3 en Angleterre, #4 en Australie et #5 en Allemagne. 

The Unforgettable Fire, la chanson, sera #1 en Irlande, #3 en Nouvelle-Zélande, #4 aux Pays-Bas. 

Pour la première fois en 4 albums, les 4 gars se sentent vrais artistes. Ils ont livré un équilibre entre commercial et expérimental sans jamais se trahir. Et se sont fait deux grands amis. Ils attirent l'attention de la bonne façon. Le pari est gagné. L'album sera #1 en Irlande, Angleterre et en Nouvelle-Zélande. #5 au Canada. 

J'ai ma première blonde dès septembre, à l'école secondaire. 

Un feu commence à briller pour U2.

Un inéteignable feu. 

Je découvre la passion des filles, un feu qui ne s'éteindra jamais non plus.

On fabrique en parallèle, de l'inoubliable.

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